lillyinthevallee

Scène de plage, Charles Gancel, Buchet-Chastel.

Une petite perle de drôlerie à savourer illico, un avant-goût de l'été. C'est l'histoire d'un type célibataire, fonctionnaire, maniaque et étriqué dans sa vie mais pas dans sa tête. Sous le chapeau cela tourne à plein régime et ses fantasmes érotiques occupent le temps qu'il ne passe pas à compter ses dossiers au Sénat. Le voilà en vacances en Corse, lors d'une journée banale de plage, soleil, eau bleue et sable chaud. Il repère très vite une jeune nymphette qu'il imagine pouvoir séduire. Il possède une technique infaillible pour cela, dit-il. On ne demande qu'à le croire et on suit le moindre de ses gestes avec beaucoup d'intérêt. Evidemment, rien ne va se passer comme il le pensait. Des situations cocasses, finement observées et un récit formidablement bien écrit. Le vocabuaire recherché, les tournures de phrases châtiées, le ton précieux et intello donnent vie à ce personnage pas banal. Il est fait pour le cinéma. Après La vielle fille de Jean-Pierre Blanc (1972), pourquoi pas Le vieux garçon ? La parité est dans l'air du temps, non ?

J'ai adoré : les réflexions irrésistibles sur les vacanciers de l'été, le portrait amusant de ce mythomane qui ne fait de mal à personne à part lui-même.

Scène de plage, Charles Gancel, Buchet-Chastel. 144 p, 14€. En vente sur mon blog via Amazon.fr.

Charles Gancel est l'auteur de deux récits de nouvelles, les oeufs et Scapels, publiés chez Buchet-Chastel. Il dirige un cabinet de conseil en développement d'entreprises.     

Prison avec piscine, Luigi Carletti, Liana Lévi.

Ca commence comme une comédie pétillante et très vite on est embarqué dans un polar machiavélique. Autour d'une bellissime piscine, dans une résidence romaine luxueuse, se croisent ses habitants fortunés et oisifs. Ici tout le monde connaît tout le monde et s'invite à des soirées glamour. Parmi eux il y a Filippo, quadragénaire désabusé, rivé à son fauteuil roulant depuis un accident de moto. Il est toujours flanqué de Isidro, son fidèle et dévoué serviteur péruvien. Le passage des uns et des autres à la piscine sont la source des potins du moment. Surgit, un jour torride d'août, un séduisant nouveau venu qui intrigue et suscite de nombreux commérages autour du bassin. Sympathique, cet inconnu se fait adopter illico par la petite communauté,  malgré d'étranges et vilaines cicatrices qui lui labourent le dos. Tout en restant méfiant et en dévinant son passé douteux, Filippo va aussi finir par se lier d'amitié avec le mystérieux et cordial inconnu. A partir de là, les choses se gâtent. Filippo n'a pas de réponses à ses questions mais quelques soucis en vue... Avec une intrigue parfaitement bien construite, des personnages crédibles et une chute étonnante, ce roman captive absolument. L'auteur se moque finement, et sans méchanceté, du petit monde clos de la résidence avec ses propriétaires privilégiés, égoïstes et futiles. Certains dialogues ne manquent pas de sel ! Si la plume est légère et le ton décontracté, il se dit néanmoins des choses très intéressantes sur l'argent, l'amour et l'amitié. Le roman de l'été !!!

J'ai adoré : Le rythme vif de l'écriture et la maîtrise parfaite de la tension d'un bout à l'autre du récit. Le contraste permanent entre l'ambiance ensoleillée, joyeuse et la présence d'une menace qui ne dit pas son nom.  

Prison avec piscine, Luigi Carletti, Liana Lévi. Traduit de l'italien par Marianne Faurobert. 256 p 18,50€. En vente sur mon blog via Amazon.fr.

Luigi Carletti est journaliste d'investigation et directeur du groupe de presse Repubblica. Il a publié cinq romans en Italie. Prison avec piscine est son premier roman traduit en France.

Cet été là, William Trévor, Phébus.

Histoire d'amour pudique. Nous sommes dans un petit village irlandais, dans les années 50.  Ellie, jolie orpheline timide et douce, épouse un fermier veuf et taciturne. Elle travaille dur, mène une vie sans joie et sans confort sans se plaindre. Son seul regret est de ne pas pouvoir avoir d'enfant. Un jour son regard croise celui du séduisant Florian Kilderry, photographe sensible et cultivé. Il n'est pas indifférent à la tranquille beauté solaire d'Ellie. Elle tombe raide dingue amoureuse de lui et, morte de honte, tente de le fuir mais il est bien décidé à mieux la connaître. Dans le village il y a une mauvaise langue qui a tout deviné de l'idylle naissante. Les amoureux se verront en douce dans la campagne accueillante de l'été jusqu'au jour où Florian avouera à Ellie qu'il a le projet de parcourrir le monde. La fin de l'été sera-t-elle la fin de leur histoire ? Jolie prose classique et élégante pour parler d'amour avec réserve et finesse. Toutes les émotions, ou presque, sont plus suggérées que racontées. C'est un roman d'atmosphère qui restitue parfaitement l'ambiance pesante de ces petits villages perdus dans la lande où tout le monde sait tout sur tout le monde depuis des générations et où il convient de ne pas déroger aux règles. L'auteur brosse un beau portrait de femme amoureuse dont la candeur et la confiance touchent au coeur. Une belle histoire triste.

J'ai adoré : les descriptions de paysage, la vie du village avec ses commères aigries et jalouses, les sentiments sincères qui animent les deux héros.

Cet été là, William Trévor, Phébus. Traduit de l'anglais (Irlande) par Bruno Boudard. 252 p 21 €. En vente sur mon blog via Amazon.fr

William Trévor est considéré comme un écrivain majeur de la littérature anglaise. Irlandais, il vit aujourd'hui à Londres et il a 84 ans. Son chef d'oeuvre demeure En lisant Tourgueniev (Booker Prize 1991).       

J'ai adoré au ciné "38 témoins" de Lucas Belvaux

Formidablement bien adapté du roman de Didier Decoin "Est-ce ainsi que les femmes meurent ?" (Grasset 2009). Un film glaçant et poignant. Le  roman relate un fait divers réél qui a scandalisé New York en 1964.  Si le sujet du film est le même, en revanche l'action se passe en France de nos jours dans la ville du Havre. Ville portuaire hyper active de jour comme de nuit, dominée par le gigantisme impressionnant  des bâteaux et de leurs cargaisons. Les travailleurs du port se coltent tous les jours à l'essentiel, la sécurité. C'est le cas de Pierre, pilote pour ces gros cargots de trois cent tonnes, qu'il doit mener à quai en montant à bord pour prendre les commandes. Il vit avec Louise qui travaille également sur le port. Le soir du drame, Louise était en déplacement à l'étranger. Pierre, lui, a été le témoin, comme 37 de ses voisins, de l'horrible assassinat d'une jeune femme dans sa rue, au pied de son immeuble. Pierre n'a rien d'un lâche et pourtant il n'est pas intervenu et, pire encore, il dit à Louise et aux flics qu'il n'a rien vu, rien entendu, comme les 37 autres. Louise le soutient et le presse d'oublier mais il a une conscience qui ne le laisse pas tranquille. Il va finir par parler pour pouvoir se regarder en face dans la glace, oui mais et les autres ?... Sans s'attarder sur le meurtre lui-même, ce film met l'accent sur la lâcheté de gens simples qui ne veulent pas d'ennuis. Un penchant malheureusement humain ? L'ambiance nocturne inquiètante, l'univers étriqué de la rue et de son immeuble, le ballet menaçant des navires et des engins portuaires font frissonner et soulignent l'horreur du silence organisé. Impossible de ne pas s'interroger sur ce que nous aurions fait, nous, dans de pareilles circonstances. La peur de prendre un coup, d'avoir des soucis avec la police, la flemme de bouger dans la nuit, le désintérêt de ce qui se passe dehors, l'habitude des rixes de rues, etc. Autant de bonnes raisons pour ne rien voir et ne rien entendre. On les comprend presque et puis, soudain, il y a quelque chose qui fait que l'on sursaute sur son siège. Non, pas d'accord, là ce n'est pas acceptable. Comme dans le roman de Didier Decoin, la ville est un personnage à part entière. L'architecture sobre et dépouillée d'Auguste Perret, la présence énorme du port au bout des petites rues, le froid mouillé, les bruits et le silence, tout cela joue un rôle. Certes, le roman offre une analyse plus subtile de la situation, personnage par personnage et la belle plume de Didier Decoin sait captiver. Mais l'essentiel du propos est bien là dans ce film sidérant, humain et intelligent . Une belle réussite à voir absolument avant qu'il ne soit plus à l'affiche.

Le roman se termine sur une phrase d'Albert Einstein à méditer :  "Le monde est un endroit redoutable. Non pas tant à cause de ceux qui font le mal qu'à cause de ceux qui voient le mal et qui ne font rien pour l'empêcher".

"38 Témoins" réalisé par Lucas Belvaux avec Nicole Garcia (épatante comme d'hab.) Yvan Attal (noir à souhait). Tous les autres comédiens sont également impressionnants de justesse.

A lire absolument : "Est-ce ainsi que les femmes meurent ?" de Didier Decoin (Grasset 2009). Paru au Livre de Poche (6,10€) depuis la sortie du film. 

Et puis souvenez-vous, en janvier je vous ai parlé d'un roman bouleversant sur le même sujet  De bons voisins de David Ryan Jahn (Actes Sud janvier 2012). Egalement inspiré par le même terrible fait divers New-Yorkais de 1964. Comme quoi...    

Le dernier vide grenier de Faith Bass Darling, Lynda Rutledge, Jacqueline Chambon

Nostalgie douce et mélancolique. Faith Bass Darling, vieille dame chic richissime, vit seule et recluse dans son splendide manoir, à Houston Texas, au milieu de meubles, bijoux et objets d'art accumulés par des générations avant elle. Elle tient à chacune de ces pièces rares comme à la prunelle de ses yeux. Mais voilà qu'un beau matin elle décide d'organiser un immense vide grenier et de vendre sur sa grande pelouse, et pour trois fois rien, ses trésors familiaux. Que se passe-t-il ? Sa fille, fâchée avec sa mère depuis longtemps, revient à la maison, des voisins s'inquiètent, d'autres en profitent pour acquérir lampes Tiphany et commodes signées pour une bouchée de pain. En une journée la vie de Faith Bass Darling se défait au rythme du départ de ses chères collections sans qu'elle semble réaliser ce qui se passe. Et pour cause... Roman délicieux et intelligent sur la mémoire, celle des individus et celle des choses qui nous entourent. Au fur et à mesure que les bibelots disparaissent de la pelouse de Faith, leurs histoires s'invitent et se racontent comme s'ils avaient une vie propre. Chacun correspond à un épisode de la vie de Faith, de celle de sa famille. Ils finissent par nous révéler un douloureux secret familial. L'auteur nous interroge avec beaucoup de justesse sur notre besoin d'accumuler des objets et de nous y attacher. En fin de compte qui possède qui ? Les objets ou leurs propriétaires ? Et qu'est-ce qui donne leur valeur aux choses ? Leur prix ou le regard que nous leur portons ? Le ton à la fois léger, ironique et dramatique, donne beaucoup de vie à cette journée folle. La construction originale du roman autour des objets, et de leur histoire, captive absolument. L'extravagante et capricieuse Faith devient sympathique et on compatit au drame de cette vieille petite fille trop riche pour être heureuse.

J'ai adoré : l'ambiance désuette pleine de charme, la plongée dans le monde des antiquaires, le personnage de Faith agaçante et touchante, le sujet intelligent.

Le dernier vide grenier de Faith Bass Darling, Lynda Rutledge, Jacqueline Chambon. Traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Laure Manceau. 304 p 23 €. En vente sur mon blog via Amazon.fr

Lynda Rutledge a été journaliste avant de se consacrer pleinement à l'écriture.  Ce roman est son premier et promet beaucoup.