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Stoner, John Williams, Le Dilettante.

Rentrée littéraire. Pépite de la littérature américaine (1965), inédite en France, dénichée par Anna Gavalda et traduite par ses soins. Une histoire triste, désespérée mais passionnante. Le portrait d'un homme qui a gâché sa vie sans s'en rendre compte. Son grand amour ce sont les livres. C'est un spécialiste de Shakespeare qu'il tient pour un génie absolu. William Stoner naît en 1891 dans une ferme du Missouri. Il entre à l'université pour suivre des études d'agronomie. Il étudie à Columbia avec sérieux et méthode. La découverte de la littérature sera un choc et une révélation. Adieu l'agriculture, il devient professeur de littérature anglaise sans hésiter, sans passion mais avec rigueur. Stoner est un homme de devoir. Le sommet de sa carrière sera l'animation d'un séminaire doctoral intitulé tradition latine et littérature de la Renaissance. Ce n'est pas un grand rigolo ce William Stoner. Et pourtant il est furieusement sympathique et attachant. Grand, maigre, voûté et maladroit, il trébuche partout, se prend les pieds dans tous les tapis. Humble et effacé, il est maltraité par ses proches et à l'université. Il encaisse tout sans broncher même s'il n'est pas dupe. Sa femme, une authentique peste, met pourtant le paquet. Rien ne le met en colère. Rien à ses yeux n'est aussi important que la littérature. A la moindre contrariété, il se réfugie dans ses livres comme d'autres dans la solitude. Heureusement qu'il y a l'enseignement qui donne un sens à sa vie. Face ses éléves il devient habile, loquace, généreux, brillant, séduisant. Un homme habité... Avec cet étonnant portrait, virant parfois à la caricature, l'auteur  rend un superbe hommage aux livres, aux belles pages, à ceux qui les écrivent et à ceux qui se dévouent corps et âmes pour les faire aimer. Quand on adore tout oublier dans les livres, parce que la vie ce n'est pas toujours ça, on comprend William Stoner et on l'aime. Même si on sait qu'il passe à côté de l'amour, de la joie, de la douceur... De l'essentiel, quoi. Ce qui n'est pas très malin, c'est certain. Ce roman est une sorte de mise en garde. Merci Anna.  

J'ai adoré : l'atmosphère austère de ce roman qui évoque Dickens et ses héros mal lotis. Les relations perfides et mesquines entre les profs à l'université. L'idée que l'on peut tout supporter quand on a la littérature pour compagne. 

Stoner, Johns Williams, Le Dilettante. Traduit de l'anglais (américain) par Anna Gavalda. 384 p 25€. En vente sur mon blog.

Johns Williams (1922-1994) a enseigné la littérature et l'art d'écrire pendant trente ans à l'université de Denvers. Il est l'auteur de deux recueils de poèmes, d'une anthologie de la poésie de la Renaissance et de quatre romans dont Stoner publié en 1965.

Room, Emma Donoghue, Stock La Cosmopolite.

Rentrée littéraire. Rare, fort, émouvant, impressionnant, dérangeant. Ce roman est l'histoire d'une captivité, d'un enfermement, d'une vie close sur un petit garçon de cinq ans, Jack, et sa jeune maman.  Une vie étroite, très organisée au centimètre près par une maman ingénieuse, courageuse et aimante. C'est le petit garçon qui raconte son univers réduit à une seule pièce avec ses mots et ses trouvailles d'enfant intelligent. Il y a le "dedans" avec ses repères et le "dehors" qui n'existe que dans la télé, il y a sa maman au centre de tout et puis il y a le Grand Méchant Nick dont sa maman a peur. Elle fait tout ce qu'elle peut pour protéger son fils de cet individu et pour l'élever, l'éduquer, l'amuser, avec les pauvres moyens dont elle dispose. Mais un jour elle réalise que cette vie entre quatre murs ne peut pas durer, son fils grandit et il a besoin d'horizon. Elle projette alors une folle évasion dont son fils sera le héros. Mais le monde extérieur sera-t-il ce qu'elle imagine pour le petit Jack ? Un roman qui fait froid dans le dos, grincer les dents et mal au ventre et pourtant je l'ai lu jusqu'au bout sans hésiter. La puissance de l'écriture, la belle imagination et la drôlerie irrésistible du langage de l'enfant dominent largement l'horreur de l'histoire. Il faut ce talent là pour aborder ce sujet là. Quelle magnifique sensibilité et justesse dans l'écriture. A côté de notre capacité à nous adapter et à survivre en toutes circonstances, l'auteur nous questionne sur le rôle de parent et l'ambiguïté du lien fusionnel mère-enfant. Une forme d'isolement à deux dans une relation qui semble s'auto suffire et s'épanouir mais qui finit par détruire. Ce triste constat met plutôt mal à l'aise. Le roman choc de la rentrée. 

J'ai adoré : l'univers de Jack qui parle aux meubles et objets qui l'entourent, sa malice, sa relation tendre et tyrannique avec sa maman. La construction du roman qui ne laisse aucun répit, aucun temps mort. La belle écriture qui bouleverse sans mièvrerie.

Room, Emma Donoghue, Stock La Cosmopolite. Formidablement bien traduit de l'anglais (Canada) par Virginie Buhl.  400p 21,50€. En vente sur mon blog.

Emma Donoghue est romancière et vit au Canada. Room est son septième roman. Il a été finaliste du Booker Prize.

Skoda, Olivier Sillig, Buchet-Chastel

Rentrée Littéraire. Un joli roman court et efficace qui interpelle sur la violence. Celle des hommes qui font la guerre, celle de ceux qui ont un petit pouvoir et de ceux qui obéissent aveuglément. L'action se passe n'importe où dans un pays d' Europe de l'Est, dans un coin de désolation où les armes ont frappé au hasard des soldats et des civiles. Un jeune soldat s'en sort, il laisse ses camarades morts dans le fossé et il emporte avec lui un bébé miraculeusement épargné. Au moment de l'attaque, ce nouveau né était dans les bras de sa maman dans une voiture, une Skoda. On ne connaît pas le nom du jeune homme mais il baptise le bébé Skoda. Les voilà tous les deux seuls au monde, sur la route, à la recherche d'un toit et de nourriture. Le questionnement du jeune garçon sur comment nourrir un bébé est un excellent passage. L'aventure commence pour eux deux et la guerre n'est pas terminée... Cette histoire mêle tragique et humour avec talent. L'écriture est remarquable de sobriété et de retenue. Cette belle économie de mots met en évidence le propos de l'auteur. L'absurdité de ces combats tellement identiques qu'il n'est pas nécessaire de les situer sur une carte du monde, la mort qui frappe n'importe quand et puis l'espoir aussi, la vie plus forte que la mort. A ce sujet, la fin du roman est délicieuse. Elle donne toute sa force et son sens à l'histoire. A lire absolument!!

Skoda, Olivier Sillig, Buchet-Chastel. 122 p 11 €. En vente sur mon blog.

J'ai adoré : le ton, le sujet, la forme courte du roman très percutante et sa construction impeccable. J'adore ces écritures minimalistes qui donne le maximum d'émotions.

Olivier Sillig est Suisse, psychologue, romancier et cinéaste. Il a déjà publié six romans.      

Cent ans, Herbjorg Wassmo, Gaïa.

Fresque éblouissante! Une épopée dans le grand nord norvégien là où les glaces retiennent la nuit. Les hommes vivent sur leurs bâteaux pendant que les femmes luttent à terre pour soigner maison et ribambelle d'enfants. Le destin de quatre générations de femmes d'une même famille se croise. Cent ans séparent Hjordis née en 1942 et son arrière grande-mère Sara Suzanne née en 1842. Entre elles deux, il y a Elida et Herbjorg. Toutes des femmes de la campagne, simples et solides, qui mènent une vie rude et austère sans se plaindre. Le principal événement de leur existence demeure le mariage et les enfants. Mariage arrangé ou mariage désiré, elles font avec l'homme que la vie leur a donné non sans une saine philosophie. Sara Suzanne aura dix enfants, sa fille Elida huit. Les progrès du siècle ne les atteingnent pas. Les îles Lofoten sont loin du monde et de ses agitations. Les guerres perturbent à peine leur rythme séculaire. L'histoire débute avec la petite Hjordis qui écrit sur des carnets avec son crayon jaune mal taillé. Elle raconte ses jours d'enfant solitaire et puis parle de sa mère, de sa grand-mère et de son arrière grand-mère. Mais le personnage phare est Sara Suzanne avec sa belle sensibilité et son tempérament sauvage. Son histoire d'amour interdite avec Fredrick, le pasteur marié, est l'un des temps forts du roman. Les dialogues entre eux sont d'une intensité rare. La honte douloureuse de Sara Suzanne est bouleversante. Le roman nous fait partager le quotidien et l'intimité de ces femmes de caractère pour qui l'essentiel demeure d'être en vie. L'auteur mêle à la perfection récit autobiographique et fiction, portraits saisissants et paysages grandioses. La nature est cruelle mais si belle dans le nordland. La force évocatrice de l'écriture est impressionnante. Impossible de lâcher ce roman. J'ai dévoré avec ferveur cette saga émouvante, déchirante et lumineuse. A lire absolument.     

J'ai adoré : Ces beaux personnages hors du temps, ces femmes fortes mais aussi leurs maris qui font ce qu'ils peuvent pour apporter douceur et confort loin des clichés habituels. Très beau roman sur toutes les choses non dites qui relient et séparent.

Cent ans, Herbjorg Wassmo, Gaïa. Traduit du norvégien par Luce Hirsch. 557 p 24 €. En vente sur mon blog.

Herbjorg Wassmo est une gloire de la littérature norvégienne. Tous ses romans sont magiques. Il faut impérativement lire Le livre de Dina (10/18), un bijou.

Le Poche du moment : My first Sony, Benny Barbash, Point.

Drôle et intelligent. Une grande fresque familiale racontée par un petit garçon de 10 ans. Il enregistre les mots de ses proches sur son magnétophone car, dans sa famille, les souvenirs des anciens n'existent pas. Pas de photos, pas de lettres, pas de voix. Avec lui cela n'arrivera pas, il garde précieusement des traces de tout ce qui se dit autour de lui. Nous sommes en Israël dans les années 80, chez ces filles et fils des victimes de la Shoah. Cette deuxième génération déchirée entre quête idenditaire et culte d'un passé trop cruel. Les proches de Yotam donnent des signes de malaise : ses parents se disputent sans arrêt et parfois violement, la mère est angoissée par la peur de l'abandon, la grand-mère divague et se perd dans ses rêves à haute voix, le grand-père révèle des histoires méconnues sur la résistance, la tante vit avec deux hommes sous un même toit, etc. Et puis dans cette famille, comme partout, on parle des autres amis et relations et de leurs aventures et mésaventures. Yotam enregistre. A travers ces histoires bizarres et tous ces personnages fantasques c'est l'histoire d'un pays que nous découvrons. Toutes les divergences de cette jeune société en ébullition sont abordées : Exil, politique, religion, amour, sexe, mort, guerre, argent... Dans un style  faussement brouillon, fait de disgressions assez déroutantes en début de lecture, l'auteur vise juste et porte un regard critique sur la société israélienne d'aujourd'hui et son devenir. La narration enfantine, naïve et sarcastique, autorise toutes les flèches et apporte une note d'humour décalé qui donne un charme fou à ces pages. Roman marquant, profond et subtil.

J'ai adoré : Le personnage de Yatom, un candide attachant et plein d'humour qui nous fait espérer un demain meilleur.

My first Sony, Benny Barbash, traduit de l'hébreu par Dominique Rotermund. 413p 7,50€. Point Poche. En vente sur mon blog.

Benny Barbash est né en 1951 et il vit à Tel-Aviv. Il est romancier et scénariste pour la télévision. My first Sony a remporté le Grand Prix du Salon du Livre  de Paris en 2008. Son nouveau roman Little big bang est paru au début de cette année chez Zulma. Je ne l'ai pas encore lu !