Formidablement bien adapté du roman de Didier Decoin "Est-ce ainsi que les femmes meurent ?" (Grasset 2009). Un film glaçant et poignant. Le roman relate un fait divers réél qui a scandalisé New York en 1964. Si le sujet du film est le même, en revanche l'action se passe en France de nos jours dans la ville du Havre. Ville portuaire hyper active de jour comme de nuit, dominée par le gigantisme impressionnant des bâteaux et de leurs cargaisons. Les travailleurs du port se coltent tous les jours à l'essentiel, la sécurité. C'est le cas de Pierre, pilote pour ces gros cargots de trois cent tonnes, qu'il doit mener à quai en montant à bord pour prendre les commandes. Il vit avec Louise qui travaille également sur le port. Le soir du drame, Louise était en déplacement à l'étranger. Pierre, lui, a été le témoin, comme 37 de ses voisins, de l'horrible assassinat d'une jeune femme dans sa rue, au pied de son immeuble. Pierre n'a rien d'un lâche et pourtant il n'est pas intervenu et, pire encore, il dit à Louise et aux flics qu'il n'a rien vu, rien entendu, comme les 37 autres. Louise le soutient et le presse d'oublier mais il a une conscience qui ne le laisse pas tranquille. Il va finir par parler pour pouvoir se regarder en face dans la glace, oui mais et les autres ?... Sans s'attarder sur le meurtre lui-même, ce film met l'accent sur la lâcheté de gens simples qui ne veulent pas d'ennuis. Un penchant malheureusement humain ? L'ambiance nocturne inquiètante, l'univers étriqué de la rue et de son immeuble, le ballet menaçant des navires et des engins portuaires font frissonner et soulignent l'horreur du silence organisé. Impossible de ne pas s'interroger sur ce que nous aurions fait, nous, dans de pareilles circonstances. La peur de prendre un coup, d'avoir des soucis avec la police, la flemme de bouger dans la nuit, le désintérêt de ce qui se passe dehors, l'habitude des rixes de rues, etc. Autant de bonnes raisons pour ne rien voir et ne rien entendre. On les comprend presque et puis, soudain, il y a quelque chose qui fait que l'on sursaute sur son siège. Non, pas d'accord, là ce n'est pas acceptable. Comme dans le roman de Didier Decoin, la ville est un personnage à part entière. L'architecture sobre et dépouillée d'Auguste Perret, la présence énorme du port au bout des petites rues, le froid mouillé, les bruits et le silence, tout cela joue un rôle. Certes, le roman offre une analyse plus subtile de la situation, personnage par personnage et la belle plume de Didier Decoin sait captiver. Mais l'essentiel du propos est bien là dans ce film sidérant, humain et intelligent . Une belle réussite à voir absolument avant qu'il ne soit plus à l'affiche.
Le roman se termine sur une phrase d'Albert Einstein à méditer : "Le monde est un endroit redoutable. Non pas tant à cause de ceux qui font le mal qu'à cause de ceux qui voient le mal et qui ne font rien pour l'empêcher".
"38 Témoins" réalisé par Lucas Belvaux avec Nicole Garcia (épatante comme d'hab.) Yvan Attal (noir à souhait). Tous les autres comédiens sont également impressionnants de justesse.
A lire absolument : "Est-ce ainsi que les femmes meurent ?" de Didier Decoin (Grasset 2009). Paru au Livre de Poche (6,10€) depuis la sortie du film.
Et puis souvenez-vous, en janvier je vous ai parlé d'un roman bouleversant sur le même sujet De bons voisins de David Ryan Jahn (Actes Sud janvier 2012). Egalement inspiré par le même terrible fait divers New-Yorkais de 1964. Comme quoi...