D'une force rare !
"Je sais que tu reviendras". C'est avec cette petite phrase pleine de promesse que la grand-mère de Léopold, 17 ans, lui dit au revoir en janvier 1945. Comme tous les allemands de Roumanie, il est sur la liste de ceux que Staline soupçonnent d'avoir aidé l'allemagne nazie. On vient le chercher à trois heures du matin, la destination est un camp de travail quelque part dans le froid sibérien, la durée de la peine inconnue, la date de retour improbable. Il survivra cinq ans dans un enfer glacé, torturé par la faim, les poux, la peur et l'épuisement. L'auteur nous raconte ces années d'horreur de manière très crue avec un sens terrible du détail. Ce serait insupportable si ce quotidien n'était pas restitué par le regard décalé et poétique du jeune Léopold. Candide et optimiste, il sublime tout comme s'il devait réinventer sa vie pour pouvoir continuer à la vivre. Le pain du jour devient le pain des joues, la peur se fait mal du pays, il parle à l'ange de la faim, aux femmes de chaux, de l'homme patate. Le personnage du jeune Léopold est inspiré par le poète germano-roumain Oskar Pastior, décédé trop tôt pour écrire ce roman avec Herta Müller comme prévu initialement. Le ton onirique du roman et ses images magnifiques tranchent avec l'écriture froide et sèche. On croyait avoir tout lu sur ces années là et pourtant ces pages obsèdent. Redoutable.
J'ai adoré : le ton du roman qui ne tombe jamais dans le sordide ni le pathétique. L'évocation des plaisirs simples de la vie dont on goûte la saveur à travers le regard illuminé de Léopold.
Traduit de l'allemand par Claire de Oliviera
La bascule du souffle, Herta Müller, Gallimard. 308 p 19,90€, en vente sur ce blog (un clic sur la couverture du livre dans la colonne de droite).
Herta Müller est née en 1953 en Roumanie au sein de la communauté germanophe. Sa mère fut déportée dans un goulag près de cinq ans. Herta Müller a écrit plusieurs romans et essais dont "l'homme est un grand faisan sur terre". Elle reçu de nombreux Prix dont le prestigieux Prix Nobel de Littérature en 2009.