FORMIDABLE SAGA !
Nous sommes à la fin des années 40, Laura institutrice à Memphis vient d’épouser Henry pour le meilleur, ses deux filles à venir, et pour le pire : une ferme délabrée et sans confort plantée dans la boue d’un delta furieux. En prime : son odieux beau-père et son racisme quotidien contre les métayers noirs. La culture du coton et la vie rustique menacent de ruiner le moral de Laura quand son jeune beau-frère revient de la guerre contre l’Allemagne nazie. Il ne rentre pas seul, le fil d’un des métayers locaux l’accompagne. Passion dangereuse, amitiés interdites, trahisons, le drame est inévitable.
Finement construit, merveilleusement bien écrit par une plume fluide, riche et imagée, ce roman mêle violence et beauté à la perfection. La vie rurale arriérée du sud de l’Amérique d’après guerre, secouée par la haine du Ku Klux Klan et les certitudes des odieux petits blancs, est remarquablement bien plantée. Le Mississipi apparait comme un personnage à part entière avec ses menaces de débordements qui ressemblent à celles des humains. L’humour et l’intelligence de Laura arriveront-ils à triompher de la bêtise ancestrale ? J’ai adoré.
Mississippi
Hillary Jordan
Belfond
372 P 19 €
Le père de la narratrice, sérieusement diminué après un accident de voiture qui a tué sa femme, s’accroche à la vie avec une solide énergie malgré ses quatre vingt ans. Sa fille l’accompagne dans son quotidien, le plus efficacement et légèrement possible telle une fée clochette. Excellents passages sur la douce complicité, le goût de la littérature et sur l’odieux traitement des personnes âgées malades à l’hôpital. Nous ne saurons de cet homme que ce que sa fille connait de son histoire. Les secrets d’un père pour sa fille demeurent, même si certains silences parlent forts. Sous la plume élégante et sobre de l’auteur, l’humour et l’amour sautent au cœur dans une évidence : Voilà les deux bonnes béquilles pour supporter la déchéance de la vieillesse et de la maladie. Roman brillant, touchant, parfois drôle, qui donne une furieuse envie de profiter des jours et des gens qui sont là, tout près.
Une année avec mon père
Geneviève Brisac
L’Olivier
176 p 16 €
HISTOIRE D'AMOUR !
Subtile réflexion sur l’après couple.
Après le passage du terrible ouragan Katarina, Waveland, petit village sur le golfe du Mississipi, se remet doucement de la tempête. Vaughn architecte désabusé et sans emploi médite sur la différence entre le talent et la reconnaissance professionnelle, sa carrière et ses rêves enfuis. Une bière à la main, un œil rivé sur la télé, l’autre sur internet, il occupe ses journées à broyer de l’humour noir et à commnenter la marche du monde. Il prend à témoin sa nouvelle compagne Greta, au passé douloureux et d’une patience rare. Savoureux dialogues. Un jour son ex femme, battue comme plâtre par son jeune petit ami du moment, le supplie de venir s’installer chez elle avec Greta, le temps de se remette de ses émotions. Débute alors une drôle de relation à trois aussi naturelle que surnaturelle. Peut-on être totalement indifférent à l’autre quand on a passé la motié de sa vie avec ? Refaire sa vie a-t-il un sens ? A partir de quand une relation est-elle terminée ? A la fois drôles et tristes, ces pages distillent des remarques pertinentes, philiosophiques et psychologiques sur la vie de couple. Le décor délabré par l’ouragan colle parfaitement avec les personnages gentiment cabossés par la vie. Un roman fort, sans amertume, qui fait habilement réfléchir sur nous-mêmes.
Waveland
Frédéric Barthelme,
traduit de l’américain par Anne Damour
Bourgois
262 p 16 €
Cela se passe dans le métro, ses rames, ses couloirs et ses quais. Des voyageurs se croisent, se dévisagent, s’envisagent. Brèves rencontres, pensées fugaces, qu’est-ce qui se dit dans la tête des gens brinqueballés épaule contre épaule au même rythme grinçant ? 14 histoires courtes et percutantes se tissent en même temps sur les 14 lignes souterraines de la capitale. Entre elles des échos, des correspondances séduisantes, étranges. Ciselées avec finesse, ironie et tendresse, ces petites histoires racontent beaucoup de choses essentielles en quelques pages. Elles sont toutes excellentes, originales, écrites d’une belle plume vive et sensible. La lecture achevée laisse une trace forte en nous. Mes préférées : symphonie déconcertante, partition improvisée à quatre mains, mariage à points, rencontre capitale qui s’ignore ou Monsieur Gris, formidable pied de nez du destin. A lire absolument pour que les heures de pointe ne soient pas des heures creuses.
L’heure de pointe
Dominique Simonnet
Actes Sud
134 p, 17 €
Histoire d’amour, saga familiale, fresque historique, portrait d’une femme engagée, destin tragique. Ce gros roman offre tout ce que l’on aime lire les jours de pluie sous sa couette. Sashenka a 17 ans et vit à Saint-Pétersbourg en 1916. Fille d’un fortuné baron juif, elle mène la vie dorée et choyée d’une jeune fille privilégiée. Cela ne va pas durer. Ses idées bolchéviques et la révolution vont la propulser dans un autre décor, une vie pleine de dangers et d’épreuves. Elle aura deux enfants, épousera un haut cadre du parti, incarnera la femme idéale soviétique, rencontrera l’amour passion, souffrira de trahison, disparaitra. Qui retrouvera sa trace en 1963 ?… Quelle histoire ! Le rythme sentimental est soutenu du début à la fin. L’auteur, brillant historien de la Russie, ne ménage pas les détails sur la vie quotidienne à l’époque du dernier Tsar, luxe inouï et intrigues du dépravé Raspoutine, sur les élans idéologiques de Lénine et sur la paranoïa assassine de Staline. Ce qui rend cette saga passionnante, vivante et attachante. L’héroïne séduit par son engagement politique sincère, sa générosité, sa capacité à aimer. Impossible de lâcher Sashenka ! Même si l’eau de rose coule parfois un peu trop, la bonne construction du roman et la plume habile de l’auteur nous emportent totalement.
Sashenka
Simon Montefiore
Belfond
576 p, 22 €
CRUEL ET DROLE
Etranges et cocasses retrouvailles pour Cate, 15 ans et sa mère. La petite fille a été enlevée dans un camping douze ans plus tôt par un brave type en mal de paternité, sur un coup de folie. Elle a grandit libre et heureuse, avec ce vieil homme peu bavard mais solide, dans le désert aride et sans loi du Nouveau Mexique. Mais Cate vient de faire une grosse bêtise et Lester décide de la rendre à sa mère. Les voilà en route dans le vieux pick-up vers les vertes forêts de Virginie. L’accueil sera glacial. Comment reconnaître sa fille que l’on a perdue à trois ans et pleurée pendant tant d’années ? Que sont les liens du sang face à ceux de l’absence ? Doutes et suspicions s’installent et Cate ne rêve que de retrouver son désert. Roman haletant, raconté par la voix rugueuse et drôle de Cate. Trois très beaux personnages brossés par une plume vive et acérée. Tension psychologique remarquable du début à la fin.
Ton sang ne saurait mentir
Patricia Tyrrell
Actes Sud
286 p 23 €
HISTOIRE VRAIE !
Destin tragique pour ce fils du Grand Timonier. Mao ne s’encombrait pas avec ces enfants, il en fera onze, dont six abandonnés sans état d’âme au gré de sa fameuse Longue Marche. Ce « Petit Mao » sera élevé par un couple de paysans dans l’espoir fragile d’être un jour repris par son père. Sa mère d’adoption le déteste mais son second père l’adore. Ils s’attachent l’un à l’autre et le Petit Mao grandit, déchiré entre le désir de rejoindre son père illustre et celui de vivre une vie simple auprès de celui qui l’aime comme son fils. Que lui réserve l’avenir sous le règne de ce père tout puissant et mégalo ? Formidablement précis et bien documenté par un auteur historien de la Chine. Très belle et rare prose poétique mêlant sobriété de ton et exaltation de la nature et des sentiments. Ce roman nous serre la gorge du début à la fin. Dommage qu’il ne soit pas plus long… Je reprendrai bien encore un peu de cette belle écriture émouvante.
Petit Mao
Jacques Baudoin
JC Lattès
252 p 17 €
Les années 50, deux adolescents frère et sœur, dans un coin américain de salopettes et de chapeaux feutres, soupçonnent le croquemort de leur village de pratiques étranges sur des cadavres. Ils ont des preuves, ils le font chanter, il leur envoie un tueur aux trousses. Histoire folle d’une course poursuite entre deux hommes ivres de violence dans une forêt profonde et inquiétante. Le sujet de leur haine finit par s’oublier, il ne reste plus que cette étrange cavalcade à la vie à la mort, semée d’embûches totalement improbables mais peu importe, l’écriture est tellement virtuose que le roman se lit d’un trait et met les nerfs à rude épreuve. Evidemment, nous pensons à la Nuit du Chasseur de Davis Grubb. L’ambiance gothique hallucinée et envoûtante possède la même force. Quelle richesse de vocabulaire, quel souffle, quelle tension. Bravo au traducteur Jean-Paul Gratias, il a sans aucun doute son mot à dire dans ce chef d’œuvre là.
La mort au crépuscule
William Gay
Traduit de l'américain par Jean-Paul Gratias
Ed du Masque
310 p 19,50 €
Nous imaginons toujours Châteaubriand, beau et grave, debout face à la mer, illuminé et échevelé par les embruns. Normal, il a soigné cette image avec beaucoup de zèle. C’est ce que nous confie Adolphe Pâques, son coiffeur et ami qui récite les rimes de Chateaubriand par coeur. Il le vénère en secret et va jusqu'à conserver ses mèches de cheveux dans un placard fermé à triple tours. Nous sommes à la fin de la vie de Châteaubriand, poète adulé, surtout par les femmes. Il se révèle dans l'intimité futile, narcissique, obsédé par sa postérité. Ses fameuses Mémoires dorment sous son lit dans un cercueil et font l’objet de convoitise. Après avoir posé les papillotes de Madame Récamier et écouté les potins du jour dans son antichambre, Adolphe Pâques coiffe le savant décoiffé du Maître chez lui quasi quotidiennement jusqu’au jour où l’amour s’en mêle sous les traits d'une jolie mulâtre folle de vers et du Maître elle-aussi. La jalousie est mauvaise conseillère, la vie de Chateaubriand ne tient plus qu’à un cheveu… Cocasse, alerte et coquin, ce roman léger, parfaitement mené, est semé de références littéraires et de clins d’œil historiques.
Le coiffeur de Chateaubriand
Adrien Goetz
Grasset
174 p 12 €