Récit bouleversant. L'auteur raconte à la première personne du pluriel (un "nous" d'une force inouïe) la vie de ces jeunes japonaises du début du XXe siècle qui ont quitté familles et traditions pour aller rejoindre des maris japonais inconnus, déjà établis en Californie. Elles sont parties joyeuses dans leur kimono fleuri, pleines de rêves et d'espoir. Sur le bateau du départ, elles sourient en caressant la photo de l'époux qui les attend à l'autre bout du voyage. La traversée sera rude, longue et cruelle. L'arrivée encore plus. Les maris s'avèrent plus vieux que sur les photos, très pauvres et pas si gentils que ça. Les nuits de noce virent au cauchemar. Elles doivent travailler la terre comme des hommes et faire des enfants, voilà leur destin. Les journées dans les champs s'enchaînent sans répit, la misère fanent leur beauté juvénile, les grossesses alourdissent leurs traits délicats. Et pour couronner le tout, la seconde geurre mondiale désigne bientôt les japonais comme indésirables sur le territoire américain. Quelle injuste destinée... Ces pages vrillent le coeur du début à la fin. Le rythme lancinant des énumérations plurielles donne le vertige dès les premières lignes et installe un malaise que rien ne dissipe. Il y a quelque chose d'obsessionnel et d'inquiétant dans la prose raffinée de l'auteur. Une insistance désolée, comme une ode triste, simple et sans mélo. Après la lecture de ce court récit, persiste une petite musique douloureuse et pourtant très belle.
J'ai adoré : la construction, le style et l'écriture virtuose ainsi que l'histoire tragique de ces femmes anonymes sacrifiées.
Certaines n'avaient jamais vu la mer, Julie Otsuka, Phébus. Très joliment traduit de l'anglais (américain) par Carine Chichereau. 144p 15€. En vente sur mon blog via Amazon.fr
Julie Otsuka vit en Californie. Diplômée en art et peintre, elle publie son premier roman en 2002 Quand l'empereur était un Dieu (Phébus 2004).