Savez-vous que le célèbre tableau l'homme au gant attribué au Titien, et qui siège au Louvre, n'a pas été peint par Le Titien ? Des experts suisses se sont penchés récemment sur une légère anomalie présente dans la signature. Ils sont formels : le "T" a été peint en premier et la suite par une autre main. Par ailleurs, le vernis qui recouvre la toile est fait de deux résines connues dans la peinture du XVIè siècle mais aussi d'encens, du jamais vu dans un vernis. Il n'en fallait pas plus pour que l'auteur imagine une vie et un destin tragique à ce mystérieux "T". Metin Arditi, brosse le portrait d'un personnage d'autant plus fabuleux qu'il n'a laissé aucune trace de son passage sur terre. A-t-il existé ou pas ? Ce roman nous raconte ce qui pourrait être son histoire. Elie, un enfant ultra doué pour le dessin, serait né vers 1516 dans les bas fonds de Constantinople. Il réussira à échapper à la misère en prenant la mer à bord d'un bâteau vénitien. Sous une fausse identité il se fera engagé dans les ateliers du Titien grâce à ses talents de portraitiste hors du commun. Après des années de travail, il dépassera le maître et deviendra le plus grand peintre de Venise, le plus honoré et adulé, sous le sobriquet de Turquetto. Mais le destin veille et Elie sera bientôt rattrapé par son passé et ses mensonges... Ce roman, à la belle écriture imagée et sensuelle, nous transporte dans un autre monde, celui de l'art sacré du XVIè siècle. Les descriptions de tableaux et de techniques de peinture sont un pur régal. L'inspiration permanente et l'avidité de création du jeune Turquetto font vibrer. Sa peinture réussit une synthèse des religions musulmane, juive et chrétienne. Ce sera sa marque de fabrique. La Venise de cette époque est décrite dans sa terrible réalité : puanteur, saleté, corruption, rivalités, assassinats. Idem pour le Grand Bazar de Constantinople, coloré, bouillonnant mais aussi crapuleux et pouilleux. Et pourtant le tout dégage un charme romanesque fou. Une immersion totale dans un siècle de génie, de beauté et d'horreur. Exhaltant.
J'ai adoré : l'ambiance trépidante, les intrigues Venitiennes et les luttes de pouvoir, la place des artistes dans la vie quotidienne et ce Turquetto anti-héros pas beau mais terriblement séduisant.
Le Turquetto, Metin Arditi, Actes Sud. 282 p 19,50€. En vente sur mon blog.
Metin Arditi, est né en Turquie et vit en Suisse. Il parle plusieurs langues dont le grec et l'italien. Il enseigne à l'Ecole Polytechnique et préside l'Orchestre de la Suisse Romande. Il a publié six romans dont La Fille des Louganis (Actes Sud 2007) que j'adore.