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L'entrevue de Saint-Cloud, Harold Cobert, Editions Eloïse d'Ormesson

Troublant !

Le 3 juillet 1790 Mirabeau rencontre en tête à tête la reine Marie-Antoinette. Que se sont-ils dit ? L'Histoire ne le raconte pas, les historiens ne sont pas d'accord alors Harold Cobert nous livre sa version des faits dans un roman court, habile et séduisant. A cette date, le roi et la reine vivent aux Tuileries et n'ont plus aucun pouvoirs sauf le droit de véto, maintenu grâce à l'intervention de Mirabeau. Ce qui peut encore se jouer est l'avenir de la monarchie, est-ce que la république se fera avec ou sans le roi ? Celui-ci est incapable d'assumer son rôle, c'est donc vers la reine que Mirabeau se tourne. Elle est éprouvée par les événements de Versailles, en totale disgrâce, surnommée "madame déficit", alors que Mirabeau, libertin, journaliste, homme politique adulé est en pleine gloire. Elle a besoin de lui, ce qu'elle ne supporte pas. Elle déteste tout ce qu'il représente et surtout la trahison de ce petit comte acquis à la révolution.  Lui admire son intelligence tout en s'en méfiant. Mirabeau dévoile son plan pour restaurer la monarchie sous les yeux d'une reine hésitante et encore hautaine. Que faire quand les animosités personnelles l'emportent sur le destin politique ? Est-ce que tout aurait été différent si... Ce roman est l'histoire d'un malentendu. Même si on connait l'issue de cette entrevue, on est captivé par l'échange aigre-doux entre ces deux personnages illustres. La menace que représente l'ascension de Robespierre est bien distillée. Le ton contemporain fait que l'on ne peut pas s'empêcher de transposer le roman à nos jours. Que se passerait-il si (toutes proportions gardées bien entendu) certaines décisions vitales pour la république devaient faire avec les sentiments personnels de nos dirigeants ?

J'ai adoré : l'écriture souple et précise, les dialogues vifs, intelligents, parfois touchants. Le portrait passionnant de Mirabeau. L'auteur est historien spécialiste de Mirabeau, il l'aime, cela se sent. Ce roman se lit d'un trait avec beaucoup de plaisir et laisse rêveur sur le destin des nations.

L'entrevue de Saint-Cloud, Harold Cobert, 144 p, 16€. Editions Héloïse d'Ormesson. Roman en vente sur ce blog (colonne de droite un clic sur la couverture du roman)

Harold Cobert  a trente six ans, il a publié une thèse sur Mirabeau et un essai "Mirabeau le fantôme du Panthéon", puis un premier roman "le reniement de Patrick Tréboc" (lattès 2007). Son second excellent roman "un hiver avec Beaudelaire" (Eloïse d'Ormesson 2009) a connu un joli succès.

 

 

La fortune de Sila, Fabrice Humbert, Le Passage.

Dérangeant !

Trois hommes dînent dans un restaurant chic de Paris. Ils ne se connaissent pas. Chacun est à sa table avec femme, enfant ou ami. Il y a un américain très riche et très vulgaire, un russe oligarque fatigué et très riche et un jeune français trader à Londres dépassé par sa rapide ascension financière. Le gamin américain ne tient pas en place. Le jeune serveur Sila, qui débarque de son Afrique natale pour faire fortune dans la capitale, lui fait une remarque. Le père se lève aussitôt et abat son poing sur le nez de Sila. Il s'écroule le visage en sang. Silence total dans la salle, personne ne bouge. Le repas reprend son cours comme si de rien n'était. Un riche frappe un pauvre mais aucune protestation ne s'élève autour. Comment est-ce possible ? Comment en est-on arrivé là ?  La lâcheté de ces hommes, dont le destin se croise sans qu'ils ne se rencontrent jamais, donne étrangement un virage dramatique à leurs vies. Tous les trois ont en commun d'avoir abandonné un jour leurs idéaux de jeunesse pour gagner beaucoup d'argent. Le roman nous raconte le destin de trois purs produits du monde cruel et creux de la haute finance internationale.  Mené comme un très bon polar, ce roman captive et fais peur. On a froid dans le dos en réalisant que nous vivons dans cet univers même si ce n'est pas notre quotidien. Il est écrit avec une belle plume intelligente et alerte, très bien documenté et très précis dans le moindre détail. Impressionnant. 

J'ai adoré : le profil psychologique des trois personnages, la moralité saine et positive qui se dégage du roman, la réflexion que suscite certaines pages sur notre monde moderne et déshumanisé et le souvenir de ces petites choses essentielles que nous avons forcément laissé derrère nous un jour.    

La fortune de Sila, Fabrice Humbert, éditions le Passage. 320 p 18€. En vente sur ce blog (colonne de droite, un clic sur la couverture du roman).

Fabrice Humbert a écrit trois romans avant celui-ci. Tous publiés aux éditions Le Passage. Son formidable précédent roman "l'origine de la violence" connaît un grand succès.

 

La maison d'à côté, Lisa Gardner, Albin Michel

Le polar de septembre : Machiavélique !

A Boston, Sandra, trente ans, professeur et mère d'une petite fille de quatre ans, disparaît soudain de chez elle sans laisser aucune trace de violence. Jason, le mari, est journaliste et travaille au journal cette nuit là. La petite fille dort dans sa chambre quand il rentre à quatre heures du matin et constate la disparition de sa femme. Bien que ce couple apparaisse parfait sous tous rapports, l'inspectrice DD Warren ressent un malaise en pénétrant dans ce foyer trop lisse, elle voit immédiatement en Jason un suspect potentiel. Il renforcera cette impression en gardant un flegme inquiétant pendant l'enquête. Côté suspect, il y aussi un délinquant sexuel qui habite dans la rue et dont le comportement surprend Jason.  L'inspectrice mène son enquête et Jason la sienne. Il se pose soudain des questions sur Sandra qu'il a épousé sur un coup de coeur sans la connaître vraiment. Quel est le poids du passé ? La voix de Sandra nous fait part de ses interrogations avant de disparaître, notamment sur le comportement compulsif de son mari pour internet la nuit. Qui ment à qui ? L'inspectrice doute de la normalité de ce couple.  Mais qu'est-ce qu'être normal ? Les points de vue des uns et des autres alternent et nous prennent à témoin en nous donnant le vertige. Et qu'a vu la petite Ree la nuit du drame ? Suspense exceptionnel pour ce polar qui mène psychologie et action avec une virtuosité redoutable. L'auteur nous promène de vérité en mensonge avec une facilité déroutante. Son écriture inventive, le rythme soutenu et la finesse de l'intrigue en font un polar de haute vol.  Impossible de le lâcher ! 

J'ai adoré : le profil psychologique subtilement ciselé de Sandra et Jason, l'intrigue familiale et l'enquête policière qui se font face avec beaucoup d'efficacité. En haleine du début à la fin j'ai dévoré cette histoire d'un trait avec des battements de coeur dans les oreilles. Très bonne surprise de rentrée !     

Traduit de l'américain par Cécile Déniard.

La maison d'à côté, Lisa Gardner, Albin Michel. 419 p €. En vente sur ce blog.

Avec ce second roman, Lisa Gardner a rejoint le club des excellentes reines du polar aux Etats-Unis et en Grande Bretagne.  Son précédent polar sauver sa peau (terrible!!) a déjà connu un beau succès en 2009. Elle vit aux Etats-Unis, dans un joli petit hameau tranquille du New Hampshire.

 

Parle-leur de batailles, de rois et d'éléphants, Mathias Enard, Actes Sud

Envoûtant !

Le génial Michelange a séjourné trois mois à Istambul, à l'âge de 30 ans en 1506, invité par le Sultan Bejazet pour concevoir un pont sur la Corne d'Or. Voilà pour le fait historique. A partir de là Mathias Enard nous raconte une superbe histoire. Celle de l'artiste aux prises avec l'inspiration, celle de l'homme religieux face aux affres du désir. Michelange cherche "la" bonne idée, celle qui enthousiasmera le sultan et qui, par ricochet, le couvrira d'or et de gloire. Léonard de Vinci a échoué dans cette mission quelques années auparavant. Michelange ne reste pas enfermé entre les quatre murs cossus offerts par le Sultan. Il s'enivre des couleurs d'Istambul, ville fabuleuse aux journées d'été chaudes et parfumées et aux nuits torrides. Son guide et confident n'est autre que le grand poète Mesihi que le Grand Vizir a mis à sa disposition. Au hasard de leurs pérégrinations nocturnes, des danses ennivrantes et des musiques lanscinantes,  celui-ci tombe fou amoureux de Michelange, sans espoir de retour, quoique Michelange n'est pas insensible à ce trouble nouveau qui l'assaille et le tourmente. Mesihi lui dédie quelques belles rimes désepérées dont nous profitons avec joie et délectation... Ce roman se déguste comme une sucrerie délicate, avec un plaisir lent. L'écriture est d'une beauté exceptionnelle. Simple, musicale avec des élans de poésie enchanteurs. Pur bonheur. A lire absolument.

J'ai adoré : la force évocatrice de l'écriture, l'image du pont entre Orient et Occident si contemporaine, le passionnant processus de création d'une oeuvre qui ne verra jamais le jour mais qui modifie l'âme et le coeur de l'artiste à jamais.  

Le beau titre de ce roman est emprunté à Rudyard Kipling : " Puisque ce sont des enfants, parle-leur de batailles et de rois, de chevaux, de diables, d'éléphants et d'anges mais n'omets pas de leur parler d'amour et de choses semblables".

Parle-leur de batailles, de rois et d'éléphants, Mathias Enard, Actes Sud. 154 p 17 €.

En vente sur mon blog : http://www.leslivresquejaime.net/

Mathias Enard a reçu pour son précédent roman Zone (bouquin qui m'est tombé des mains dès les premières pages) le Prix Décembre 2008 et le Prix du Livre Inter 2009.

 

Un autre amour, Kate O'Riordan, éditions Joëlle Losfeld

Si subtilement dérangeant ! 

L'histoire de Connie et Matt semble banale : ils s'aiment depuis l'adolescence, ils sont mariés, ils ont trois garçons ado normalement insupportables, une jolie maison dans la banlieue de Londres, des jobs intéressants et rémunérateurs, la belle quarantaine. Le bonheur quoi, ou l'idée que l'on s'en fait. Mais voilà, un bémol va mettre une sourdine brutale à la romance. Le couple part en week-end à Rome pour ce qui devait être un week-end amoureux, Matt affiche un moral en berne, il disparait une journée puis refuse de rentrer à Londres avec Connie. Coup de blues subit de la quarantaine ? C'est ce que Connie décide de croire. Elle rentre chez elle seule, le sourire aux lèvres mais le ventre noué, et décide de faire face aux enfants et aux proches comme si l'attitude de Matt était normale et passagère. Elle annonce qu'il prolonge ses vacances mais devant l'absence qui s'étire, elle doit faire face. C'est ici que l'histoire de Connie et Matt prend un curieux virage. Les mensonges de Connie et ses extravagants comportements pour "couvrir" son mari frôlent la folie et l'entraîne dans une fuite en avant dangereuse.  Son amie, voisine et associée, Mary , tente de lui faire admettre la situation, en vain. Même ses enfants se doutent de quelque chose. Mais Connie décide de croire en son mariage et de ne pas baisser les bras même si la nuit elle voit la situation lui échapper et une rivale lui voler Matt. Elle aime son mari plus qu'elle-même et est décidée à tout pour retrouver leur vie d'avant. Dans cet espoir, elle va jusqu'à mettre en place un plan délirant... Connie et Matt vieilleront-ils ensemble ? Formidable roman sur le couple, ses failles et sa durée. Kate O'Riordan réussit remarquablement bien, avec intelligence et subtilité, à nous faire réfléchir sur la fragilité des liens du mariage et le poids du passé. Les sentiments déchirés de Matt et Connie touchent directement au coeur. L'un comme l'autre affichent une vulnérabilité ambigüe et passionnante. La fin sidère !

J'ai adoré : le ton juste et l'écriture agile de Kate O'Riordan, jamais dans le mélo. Il y a de l'humour, de la tendresse, du suspens, de l'espoir. Les deux personnages attirent la même sympathie. La culpabilité de Matt attendrit autant que le désordre désespéré de Connie. Belle et originale histoire d'amour.

Traduit de l'anglais (Irlande) par Florence Lévy-Paoloni.

Un autre amour , Kate O'Riordan, éditions Joëlle Losfeld. 279 p 22 €. En vente sur mon blog http://www.leslivresquejaime.fr

Kate O'Riordan est Irlandaise et vit à Londres. Elle fait partie des nouvelles voix de la littérature irlandaise. Elle a publié cinq romans aux éditions Joëlle Losfeld dont l'excellent Le garçon dans la lune en 2008.        

 

La couleur des sentiments, Kathryn Stockett, éditions Jacqueline Chambon

Drôle et cruel !

En 1962, à Jackson dans le Mississippi les lois raciales demeurent terriblement de rigueur. Dans la belle société blanche et fortunée, les noires comme Minny et Aibileen font le ménage, la cuisine et élèvent avec amour les enfants. Ce qui ne les empêche pas de penser. Si Aibileen sait voir et se taire, l'insolente Minny prend des risques tous les jours en disant ce qu'elle pense haut et fort. Elle a beau être la meilleure cuisinière de la ville, elle vient à nouveau de se faire renvoyer. Le bouche à oreille chez les dames blanches va vite et Minny ne trouve plus de travail. Va-t-elle devoir quitter la ville ? Comme son amie Constantine l'a fait mystérieusement et brusquement quelques temps plus tôt ? Une disparition qui intrigue également Skeeter, élevée avec tendresse par Constantine pendant vingt ans, et qui ne la retrouve pas à son retour de l'université comme prévu. Skeeter n'est pas comme les autres blanches chics et gâtées, même si elle évolue dans leur univers corseté. Elle a beau savoir qu'une bourgeoise ne peut exister que si elle se marie, elle a un tout autre projet en tête pour lequel elle va demander aide et complicité à Aibileen et Minny. Etrange trio, idée dangereuse (elles vont mettre leurs vies en péril), projet fou mais tellement urgent. Roman passionnant, drôle et touchant sur l'amitié improbable de deux noires et une blanche dans cette région arriérée des Etats-Unis. Ces trois femmes vont unir leur courage dans le plus grand secret pour faire changer les choses. Trois personnages formidables et impossibles à oublier. Une histoire attachante, écrite avec vivacité, humour et sens du détail. 

J'ai adoré : les événements absurdes du quotidien comme le projet de loi imposant des toilettes pour les noirs dans les maisons bourgeoises, les tea-time de ces dames bien pensantes et toutes leurs activités dites de charité, le ridicule cocasse de certaines situations, l'humour dévastateur de Minny, l'optimisme de Aibileen et la force de caractère de Skeeter qui ose affronter sa mère et toute la bonne société de sa ville. J'ai dévoré ce savoureux (gros) roman avec délectation. J'en aurai bien repris encore un peu à la fin...

Traduit de l'américain par Pierre Girard. 

La couleur des sentiments, Kathryn Stockett, éditions Jacqueline Chambon, 526 p 23,80 €, en vente sur mon blog.

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